De Retour de Daech: Les combattant∙e∙s allemands et leurs familles
Depuis le déclin de l’État islamique, ou Daech, en Syrie et en Irak, des centaines d’hommes, femmes et enfants ayant vécu dans le « califat » sont retournés dans leurs pays d’origine, y compris en Allemagne. Cette série d'articles présente l'expérience allemande en matière de rapatriement, de poursuites pénales et de réinsertion de ces revenant∙e∙s.
Edited by Catherine Girard, PhD Candidate at Masaryk University
Une mobilisation sans précédent
Après onze ans, Lydia G. est de retour en Bavière. Après plus d’une décennie auprès du groupe terroriste « État islamique » et dans un camp dans le nord-est de la Syrie, l’Allemande et ses quatre enfants ont été rapatriés par le gouvernement allemand en avril 2025.
Lydia G. fait partie des dizaines de milliers d’étrangers qui ont été mobilisés par l’ascension fulgurante de Daech et qui ont décidé de rejoindre ce « califat » proclamé en Syrie et en Iraq en 2014. À l’époque, Daech exerçait une irrésistible attraction sur de jeunes hommes et femmes en Allemagne, le deuxième groupe le plus important de voyageurs européens après la France. Depuis 2011, au moins 1 150 allemand∙e∙s ont quitté l'Allemagne pour se rendre en Syrie et en Irak, la plupart avec l’objectif de rejoindre des organisations terroristes. En effet, selon le gouvernement allemand, environ 65 % de ces voyageurs ont soutenu, voire participé, à des combats aux côtés de Daech, d’Al-Qaïda ou de groupes qui leur sont proches. Environ un quart des voyageurs allemands étaient des femmes ou des filles.
Une vie au « califat »
Une fois arrivés dans le « califat », les voyageurs allemands ont soutenu Daech dans des rôles divers. Après l’enregistrement, les hommes suivaient normalement une formation de base au combat et à l'idéologie jihadiste. Selon leur expertise et leur motivation, ils travaillaient comme combattants ou gardiens, soutenaient la fabrication de propagande jihadiste ou intégraient la police secrète. Conformément aux rôles strictement genrés de Daech, les femmes allemandes devaient surtout se marier au plus vite, éduquer leurs enfants selon l’idéologie de Daech et s’occuper du foyer. Pourtant, certaines femmes étaient bien plus actives, s’impliquant, par exemple, dans la propagande, l’esclavage des Yézidis ou des brigades de femmes. Lydia G. est notamment accusée d'avoir appris à manier des armes à feu.
Ce qui viendra après Daech
Qu'est-il advenu de ces allemand∙e∙s ? Si certains sont rentrés volontairement après un court séjour en zone de guerre, d'autres ont péri. Ainsi, au moins 270 personnes – dont au moins dix femmes – ont trouvé la mort. Alors que certains n'ont pas pu partir pour diverses raisons, beaucoup sont restés fidèles à l'idéologie de Daech jusqu'à la fin. En 2025, environ 460 personnes, soit 40 % des voyageurs allemands initiaux, étaient rentrées, dont au moins 130 femmes adultes.Le nombre de 130 revenantes comprend le nombre de revenantes selon le ministère fédéral de l'Intérieur (rapporté par les médias SWR et BR en mai 2021) ainsi que le nombre de femmes rapatriées entre octobre 2021 et avril 2025. Plusieurs femmes sont rentrées volontairement avant la chute du « califat » en 2019, mais l'Allemagne a également mené huit missions de rapatriement : 84 mineurs et 29 adultes (dont un jeune homme) ont été rapatriés des camps kurdes du nord-est de la Syrie (voir tableau 1). La première mission en 2019 comprenait quatre enfants, dont un bébé malade et trois orphelins. Les missions suivantes ont concerné des mineurs accompagnés de leurs mères, à l’exception de Marcia M., une jeune femme sans enfants, rapatriée pour des raisons humanitaires. En octobre 2022, l’Allemagne avait – à titre exceptionnel – fait revenir un jeune homme qui était mineur quand sa mère l’avait emmené avec elle en Syrie.
Tableau 1: Rapatriement depuis le nord-est de la Syrie vers l'Allemagne entre 2019 et 2025 (compilation de l'auteure)

En matière de rapatriement organisé par les gouvernements européens, l'Allemagne occupe à nouveau la deuxième position après la France, qui a rapatrié 179 enfants et 60 femmes depuis 2019, la dernière fois le 16 septembre 2025 (voir tableau 2).
Tableau 2 : Rapatriement de pays européens depuis les camps dans le nord-est de la Syrie (basé notamment sur le Global Repatriations Tracker (Septembre 22, 2025)

Pourtant, les rapatriements progressent lentement : plus de six ans après la défaite finale de Daech en 2019, environ 46 500 étrangers et Syriens soupçonnés d'être membres de Daech ainsi que leurs proches demeurent dans un vaste système de centres et camps de détention dans le nord-est de la Syrie. Selon le gouvernement allemand, « un nombre moyen à deux chiffres » de personnes allemandes se trouvent toujours dans les camps kurdes et 28 ressortissants allemands « liés au terrorisme islamiste » restent détenus en Syrie. Notamment après la chute du régime syrien en décembre 2024, leur sort demeure incertain. Plusieurs pays d’origine acceptent de faire revenir des enfants – considérés comme des victimes –, mais en raison des défis sécuritaires, logistiques et diplomatiques, et malgré de graves préoccupations humanitaires et sécuritaires, la volonté politique de rapatrier les adultes, notamment les hommes, fait défaut.
Ainsi, dans une lettre ouverte publiée en juin 2025, un groupe de proches de jeunes hommes ayant quitté l’Allemagne pour rejoindre Daech en Syrie demande au gouvernement allemand de prendre la responsabilité pour ses citoyens ainsi que de partager des informations sur l'état de santé et la survie des détenus. Au sein de la cohorte allemande, deux décès en détention ont été confirmés. Le premier, Kadir T., aurait déjà souffert de problèmes de santé avant d'entrer en détention kurde, où il est décédé en 2020. Le deuxième décès confirmé concerne Mohammed A., mort de la tuberculose en août 2022.
Enfin, une dernière catégorie demeure : le lieu de séjour d’environ 370 hommes et femmes ayant un lien avec l'Allemagne n’est pas connu des autorités – ils pourraient encore se trouver en Syrie, en Irak ou en Turquie, ou être décédés.
Un accueil coordonné en Allemagne
Dès leur arrivée en Allemagne, les revenant∙e∙s sont pris en charge par un système décentralisé d’acteurs gouvernementaux et de la société civile, organisé par des « coordinateurs de retour » dans certains Länder. S’il existe un mandat d’arrêt, les hommes et femmes sont mis en détention dans le Land qu’ils avaient quitté à l’époque. Dans ce cas, les enfants sont séparés de leurs mères et, si possible et selon leur bien-être, placés dans leur famille d’origine. Selon le Land, différents acteurs gouvernementaux ou de la société civile prennent en charge les revenant∙e∙s et leurs enfants et les soutiennent dans un processus de désengagement. Mais d’abord, des revenant∙e∙s comme Lydia G. doivent répondre de leurs actes devant la justice allemande.
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